Robert Morel était un type très bien, très chaleureux, enthousiaste, peut-être gourmand… Mais à parler franchement je ne l’ai pas très bien connu. Ses livres oui. Toujours des coups de cœur. Ses célébrations. Ses « O » dans lesquels je suis avec plaisir. Et puis ses journaux extraordinaires . Et ses boîtes d’amour, de caresses et quantité d’inventions…
Je suis allé le voir, en 66 sans doute, lorsqu’il a décidé d’éditer « Urgent Crier » , au dessus de Forcalquier. J’ai fait la connaissance d’ Odette Ducarre, visité les locaux, et reparti avec un gros paquet de livres. Passé sans doute un peu trop vite. A l’époque j’étais un motard… Urgent Crier a attendu longtemps une couverture que Louis Pons cherchait et qu’il a fini par trouver à partir de cette idée étonnante : une plaque d’ordinateur agrémentée d’un petit sujet, d’une rondelle de caoutchouc et de deux allumettes ! J’ai connu quelqu’un qui les a vues s’enflammer au soleil, les allumettes ! Lorsque ensuite je lui ai envoyé le manuscrit de Napalm, il n’en a pas voulu, en me critiquant vertement, et en me conseillant de trouver un copain imprimeur si j’en connaissais un et de le lui faire tirer sur du papier journal ! Par contre quand il a reçu « Auguste et Peter » il m’a télégraphié longuement son plaisir et son désir de publier immédiatement. Il savait à qui l’envoyer. Il connaissait toujours quelqu’un, pour faire circuler les choses, les idées. Ainsi avant même que « Urgent Crier » soit sous presse, il avait envoyé « la Ballade de Bessie Smith » à Hélène Martin qui en a fait une chanson. J’avais écrit cette Ballade parce que je n’avais pas eu les droits pour monter une pièce d’Edward Albee. Aussi comme Morel voulait garder le droit de représentation, j’ai refusé et il n’a pas édité « Auguste et Peter ». Je n’ai jamais abandonné le droit de représentation à personne. Pas pour de l’argent ( !) mais pour pouvoir autoriser quiconque voulait monter une pièce de moi de le faire, même sans aucune notoriété. Ainsi beaucoup de troupes inconnues ont monté « August et Peter ». Du coup à partir de son refus, suivi du mien, je n’ai plus rien proposé à Robert Morel et c’est Pierre-Jean Oswald qui a édité un grand nombre de mes pièces. Et même ré-édité « Urgent Crier » avec l’accord de Morel. A une de nos premières nuits de la Poésie vers 82-83, j’ai invité Robert Morel. Il est venu. Il a lu sa traduction du Cantique des Cantiques, une chose incomparable, une merveille auprès de laquelle toutes les autres traductions font très vieillot, très compassé. Il m’a dit l’avoir faite d’après l’hébreu qu’il
aurait appris pendant la guerre pour protester à sa manière contre l’envahisseur nazi. De lui çà ne m’a pas étonné. Je ne l’ai plus revu. Je suis allé à son enterrement. Je garde de lui un grand souvenir. C’était un vivant, vraiment vivant. Et mystérieux. Je regrette de ne pas pouvoir en dire plus.
ANDRE BENEDETTO
DIRECTEUR DU THEATRE DES CARMES A AVIGNON
TEXTE PUBLIE PAR JEAN FRANCOIS SERON
(catalogue de l’ exposition ROBERT MOREL un éditeur joyeux quarante ans de drôles de livres 2000 )